Il est 11h à la base APFM (Agent de protection de la forêt méditerranéenne)/DFCI (Défense des forêts de l’incendie) à Thézan dans l’Aude. Déjà, la journée se prépare : une odeur de café emplit le hangar et aromatise les bureaux, la douche coule dans les vestiaires, et certains agents désinfectent les véhicules avant les patrouilles. Une radio crépite, on entend que les vigies sont ouvertes.
Leur mission aujourd’hui, comme pendant toute la saison des feux de forêts, est d’intervenir sur les feux naissants avant qu’ils ne dégénèrent ainsi que de sensibiliser le public aux risques particulièrement élevés en cette année 2021.
Avec leurs 4×4 jaunes marqués « Patrouille Forestière » et un autocollant DFCI/ONF, ils sont facilement repérables, mais leur travail est méconnu même s’ils font partie de la première ligne de défense contre les feux de forêts : neuf feux sur dix sont fixés par les patrouilleurs avant l’arrivée des pompiers.
L’ONF dispose d’une vingtaine de véhicules, dont une dizaine peut être équipée pour les patrouilles. Chaque véhicule de patrouille – appelé « Dangel » en référence aux Peugeot 504 modifiées par l’entreprise Dangel à partir des années ’70-’80 – est équipé de deux patrouilleurs, une tablette géolocalisée avec des cartes IGN, une motopompe, une cuve de minimum 500 litres, une batte à feu, et des rallonges de tuyau dont un pour s’alimenter sur les bouches d’incendie.
Chaque Dangel est attribué à une patrouille et leurs activations sont déterminées par le Poste de commandement de forêt (PC Forêt). Les patrouilles varient d’un milieu péri urbain (Trèbes, Lézignan-Corbières) aux parcs naturels régionaux (Narbonnaise en Méditerranée). L’ONF assure sept patrouilles par jour et les bénévoles des réserves communales de sécurité civile, des comités de communes de feux de forêts, et même de la protection civile, sont chargés des autres.
Aujourd’hui, l’équipage de notre Dangel circule avec un Nissan Navara modifié par l’entreprise Technamm. Nous retrouvons Nicolas Paris, APFM, et Aurélie Sanchez, saisonnière. Après des études en aménagement paysager et de gestion forestière, Nicolas a rejoint l’ONF en juin 2005 en tant qu’APFM, où il y a fait sa première saison. Cette saison, me dit-il, « a attaqué fort, avec une sécheresse assez marquée, et on verra l’évolution [bonne ou mauvaise] en septembre. »
Aurélie, quant à elle, cherche à protéger : « J’ai rejoint ce poste parce que j’aime la nature et j’aime aussi me rendre utile en cas d’incendie. »
Ils travaillent en 4-2 : quatre jours de patrouille, deux jours de repos, sans jours fériés, ni vacances. “Le feu ne prend pas de congés” explique Patrick Valette, le responsable ONF du pôle DFCI de l’Aude et des Pyrénées-Orientales.
Aujourd’hui, nous patrouillons sur la zone « Barrou », qui englobe les communes de Durban-Corbières, Villeneuve-des-Corbières, Embrès-et-Castelmaure, Villesèque-des-Corbières, Fraissé-des-Corbières, Feuilla et Saint-Jean-de-Barrou où coule la rivière Barrou, d’où le nom de la patrouille.
Il est 11h55, tous les patrouilleurs sont là et prêts à partir. Dernière vérification des gamelles, glacières, bouteilles d’eau. Comme un départ de course, les véhicules démarrent et partent un par un. Les agents mettent leurs masques pour respecter les consignes pendant cette crise sanitaire. Les radios sonnent au bruit des relais qui s’ouvrent.
Aurélie lance l’appel : « PC Forêt de Dangel Barrou. »
« Dangel Barrou de PC Forêt, parlez. »
« PC Forêt de Dangel Barrou, départ de la patrouille. »
« Bien reçu, Barrou, les risques sont sévères sur zone, bonne patrouille ! »
Nous partons, direction les Corbières maritimes. Une armada de véhicules jaunes quitte la base en direction de leurs zones de patrouille.
« Allons sauver le monde ! » lance un agent.
En arrivant sur zone, il est important de manger sur le champ, car une fumée ou un feu peut être signalé à n’importe quel moment. La plupart des anciens connaissent des coins stratégiques avec des tables et de l’ombre, histoire d’être un peu confortable.
Un bon repas est important pour ce travail qui peut être très physique, mais encore plus pour Aurélie, une sportive régulière qui compte rejoindre l’armée en tant que parachutiste.
Une petite pause après le repas, et la patrouille repart, cette fois pour trouver un point haut. Tablette en main, Aurélie et Nicolas trouvent tout de suite une piste en bon état pour monter sur un pech dans Villeneuve. Nicolas enclenche la vitesse 4×4 courte afin de grimper plus facilement la côte et accéder au point haut : la vue est à couper le souffle.
Un équipier garde un œil sur l’horizon pendant que l’autre reste au poste radio pour être sûr de ne rater aucun appel.
Après avoir observé un groupe de randonneurs, Nicolas décide d’aller les voir et de les sensibiliser sur les risques de feux de forêts. Il leur indique aussi un chemin de randonnée qu’ils cherchaient.
Après 30 minutes en point haut, il est l’heure de se déplacer. Nous roulons vers la limite de commune de Portel-des-Corbières et Villesèque-des-Corbières, sur le plateau de la Courtalisse. Ici, il y a un parc éolien d’Enercon et un circuit de rallye en pleine garrigue, juste en bordure du PNR de la Narbonnaise en Méditerranée, un site classé Natura 2000 (protégé par une législation de l’Union européenne).
Après un tour sur le parc, direction le col de Feuilla, à un point DFCI, appelé un point de mobilisation. C’est là où les pompiers sont prépositionnés pendant des périodes de fort risques d’incendies. Il s’agit d’un point stratégique proche d’un grand axe routier avec un bon réseau téléphonique et une bonne réception radio.
Après une pause goûter et le point météo des vigies à 16h, nous reprenons la patrouille et passons par toutes les communes de la zone pour rejoindre un autre point haut, avec une vue encore plus impressionnante : le pic de “l’estron de la vieille” (l’estron de la vielha en occitan). Nicolas en profite pour montrer à Aurélie les points d’intérêts : vigies, communes et limites de patrouilles.
Il est 19h00. Nous amorçons notre retour vers la base, avec un arrêt obligatoire à un coin de baignade connu sur une aire de repos. Le soir, les touristes qui ne sont pas au courant des risques d’incendie font régulièrement des grillades en bord de forêt. En 2008, deux grillades ont dégénéré en feux de forêts avant d’être rapidement maîtrisés. Ce n’est pas une expérience à répéter. Nous retrouvons aussi le Dangel “2 Fontfroide” sur cette aire car les deux zones de patrouilles se rejoignent ici. Après 30 minutes de surveillance et de discussion, le dernier point météo retentit. Il est l’heure de rentrer.
Nous sommes rejoints sur la route par le Dangel “Tuchan” et l’armada de véhicules jaunes rentre à la base. Le PC Forêt nous appelle un à un pour nous signaler la fin de patrouille. Aujourd’hui, nous n’avons pas eu de fumées suspectes, pas de départs de feux, pas d’infraction par rapport à l’usage du feu. C’est une “bonne” journée.
“PC Forêt de Dangel Barrou.”
“Dangel Barrou, transmets.”
“On est bien arrivés en base, bonne soirée, à demain. »
Avant de boucler la journée, il reste au personnel à envoyer les rapports journaliers via les tablettes et vérifier les niveaux des pompes et des cuves des véhicules.
“Bonne soirée » et “À demain” : les portes peuvent se fermer.